Maîtriser un environnement complexe

L’environnement du mandataire judiciaire à la protection des majeurs qu’il soit relationnel ou juridique est complexe.

Pour réussir sa mission, le MJPM doit entretenir de bonnes relations avec l’environnement familial de la personne protégée ainsi qu’avec les partenaires institutionnels de la mesure. 

Mais il doit également maitriser un environnement législatif ayant ces cinquante dernières années modifié en profondeur le statut du majeur protégé.

Quoi de commun entre la loi n° 68-5 du 3 janvier 1968 et la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007, portant toutes deux réforme de la protection juridique des majeurs ? Quels sont les apports essentiels de la loi de 2007 ?

L’analyse de Patrice Briys, mandataire judiciaire en exercice, vice-président de la Fédération Nationale des Mandataires Judiciaires Indépendants à la Protection des Majeurs (FNMJI) et président de la fédération régionale de Bourgogne-Franche-Comté.


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1 – L’environnement législatif des mesures de protection juridiques

Au sein du trinôme juge/majeur protégé/MJPM sont strictement définis les droits, devoirs de chacun et obligations de chacun.

1.1 – La protection judiciaire des majeurs dans les textes de loi

Deux textes datant de 1968 et de 2007 portent réforme du droit des personnes protégées. Dans l’intervalle le législateur n’a cessé d’accroitre les droits du majeur protégé et la prise en compte de sa volonté est première, de même qu’il a accordé plus d’autonomie au MJPM.

Témoin de cette philosophie nouvelle, la loi de 2007 introduit les principes de nécessité, de subsidiarité et de proportionnalité. La loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement instaure notamment les schémas régionaux. Quant à la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, elle donne plus d’autonomie au MJPM sur les questions financières et réintègre le majeur protégé dans son droit à décider seul des actes de sa vie personnelle.

La loi n° 68-5 du 3 janvier 1968 définit et organise les mesures de protection juridique : sauvegarde de justice, curatelle et tutelle. Elle conserve la prodigalité comme cause d’incapacité (Code civil de 1804) justifiant le prononcé d’une mesure de protection et y ajoute l’intempérance et l’oisiveté. Peu attachée à la protection de la personne, elle présente la gérance de tutelle comme une mesure appropriée à la gestion des seuls biens du majeur protégé.

La loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 rebat les cartes de la responsabilité en donnant plus de place au majeur protégé. Elle consacre les principes de nécessité, subsidiarité et proportionnalité, conduisant à ne prononcer une mesure de protection judiciaire qu’au regard du degré d’altération des facultés personnelles des majeurs protégés.

La loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015  reprécise les modalités de consultation pour l’élaboration et la révision des schémas régionaux, la procédure d’appel à candidatures pour l’exercice de la fonction de mandataire judiciaire à titre individuel et les règles du cumul des activités. Elle généralise le Document individuel de protection des majeurs (DPIM).

La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019  donne plus d’autonomie au mandataire judiciaire sur la question de la gestion des comptes bancaires. Depuis la loi du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans le domaine de la justice et des affaires intérieures, le tuteur est seul responsable de l’élaboration du budget. Mars 2019 lui impose d’actualiser son budget comme il le fait pour son inventaire et allège le contrôle des comptes de gestion.

Sur le plan des droits personnels du majeur protégé, la loi instaure la suppression de l’autorisation de se marier (sous réserve d’informer au préalable la personne chargée de la mesure de protection du projet de mariage), de se pacser ou de divorcer.

Quelle que soit la mesure de protection dont ils font l’objet, les majeurs protégés conservent ou retrouvent (pour ceux qui l’avaient perdu) le droit de voter.

Dans une volonté d’apaisement de la relation entre les parties de la protection, la médiation doit devenir un préalable à toute intervention du juge des tutelles. Toute saisine du juge des tutelles par le parquet par suite d’une alerte d’un service médical, social ou médico-social est accompagnée d’une évaluation sociale et financière et d’une évaluation des solutions d’accompagnement de l’intéressé au regard des solutions de soutien déjà en place.

1.2 – Les textes portant réforme du droit des personnes protégées

Le 5 mars 2007 est publiée la loi n° 2007-308 qui porte réforme sur la protection des majeurs. Un texte essentiel et engagé pour le droit des majeurs protégé. Avant cette réforme, la loi qui régissait la protection des personnes vulnérables datait de 1968.

1968 : Les notions de prodigalité, d’intempérance ou d’oisiveté comme motifs d’incapacité

La loi n° 68-5 du 3 janvier 1968 prévoyait que toute personne qui pour raison d’altération de ses facultés mentales se mettait dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts ou par sa prodigalité, son intempérance ou son oisiveté, s’exposait à tomber dans le besoin ou compromettait l’exécution de ses obligations familiales, pouvait bénéficier d’une mesure de protection. Une mesure de curatelle pouvait être ouverte, sans production d’un certificat médical circonstancié mais pas sans avis médical toutefois : « Néanmoins, les décisions par lesquelles le juge des tutelles organise la protection des intérêts civils sont précédées de l’avis du médecin traitant » (art. 490-1 du Code civil. abrogé). Dans leur rapport de 1998, les trois inspections générales des services judiciaires, des finances et des affaires sociales avaient estimé que 20 % des mesures de protection étaient ouvertes pour des motifs sociaux sans altération des facultés mentales.

Cette loi de 1968 (dérivée de la protection des mineurs qui n’étaient par conséquent pas en capacité d’agir pour des décisions ou des actes qui demandent d’avoir la majorité légale) ne concernait à l’époque que quelques milliers de personnes et plus particulièrement des handicapés.

Depuis, le contexte a beaucoup changé : vieillissement de la population, meilleure prise en compte du handicap, nombre de personnes à protéger …

L’analyse de Patrice Briys

Les apports de la loi de 2007 pour la personne protégée

L’objectif principal de la réforme de 2007 était de placer la personne protégée au cœur de sa protection. Mais en quoi cela a-t-il consisté ? La loi a aussi ajouté la notion de protection de la personne quand la loi précédente était plutôt axée sur la protection des biens.

Depuis la loi de 2007, on ne parle plus d’incapable majeur, mais de majeur protégé, ou de personne vulnérable. Si juridiquement incapable signifie, n’ayant pas la capacité, dans le langage courant, ce terme était très dévalorisant.

La loi de 2007 a permis de rendre le majeur protégé acteur dans sa mesure de protection :

  • en lui permettant d’être entendu (si son état le permet) lors de la procédure de mise sous protection ;
  • en l’associant à la prise de décisions ;
  • en lui laissant le libre choix de son lieu de vie et de ses relations avec des tiers ;
  • en lui laissant le libre choix en matière de santé ;
  • en lui laissant le libre choix sur des actes considérés comme strictement personnels ;
  • en révisant la mesure de protection régulièrement ;
  • en lui permettant de choisir à l’avance, tant qu’il en a la capacité, la personne qui assurera sa protection.

Elle a supprimé les notions de prodigalité, d’intempérance et d’oisiveté pouvant entrainer une mise sous protection, ne conservant que les raisons médicales (altération de ses facultés mentales ou corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté).

Enfin, la loi de 2007 a professionnalisé les « gérants de tutelles » en créant la profession de mandataire judiciaire à la protection des majeurs (MJPM) et en imposant des critères de compétences et de qualifications par l’obtention d’un Certificat national de compétence et donnant au Préfet le rôle de « recruteur » avec avis conforme du procureur de la République.

Cette professionnalisation a aussi entrainé une refonte complète du système de rémunération des mandataires judiciaires à la protection des majeurs. Il faut savoir qu’avant la réforme, les mesures confiées aux associations tutélaires étaient à la charge de l’état quand celles confiées aux gérants de tutelles privés étaient à la charge du majeur protégé, créant ainsi une inégalité de traitement dans le coût de la mesure pour les protégés.

Raison pour laquelle, dans l’esprit de beaucoup, les gérants privés étaient les tuteurs de riches, et les associations, les tuteurs des pauvres. Dans la réalité, les magistrats ont toujours confié les mesures en fonction des compétences nécessaires à la gestion d’une mesure forcément particulière.

La loi de 2007 a défini des notions d’indicateurs permettant de fixer le coût d’une mesure de protection et instaurant une participation du protégé au coût de ladite mesure en fonction de ses ressources. Si la loi a le mérite de rendre les choses plus justes pour le majeur sous protection, les décrets d’application ont rendu les calculs tellement complexes qu’il est extrêmement compliqué, pour ne pas dire impossible, d’effectuer les calculs sans outils adaptés.

La rémunération des MJPM est inscrite dans le Code de l’action sociale et des familles (CASF) et de multiples décrets et arrêtés sont venus modifier ses textes afin de tenter de les simplifier, sans succès. Des enquêtes sont menées depuis plusieurs années pour tenter de fixer un coût de la mesure plus en rapport avec la charge de travail qu’elle occasionne, mais celles-ci n’ont abouti à aucune solution.


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2 – Comprendre et gérer son environnement au quotidien

Dans l’exercice quotidien de sa fonction, le MJPM s’inscrit dans un environnement complexe qu’il lui faut comprendre et gérer.

Le premier cercle : la famille, le conseil de famille (si nommé), le subrogé-tuteur (si nommé), l’autre tuteur (si nommé), le juge des tutelles, le médecin de famille, les services sociaux.

Le second cercle : les institutions (administrations, banques, assurances, services sociaux, prestataires, commerces …), les associations de professionnels de la protection juridique.  

Les nombreux interlocuteurs du mandataire judiciaire sont des partenaires avec qui il lui appartient de construire une relation de confiance. Mais il sont aussi des obligés auxquels il doit rendre des comptes.

Au centre de l’écosystème se trouve le majeur protégé.

L’expérience de Patrice Briys

LE MJPM est comme un chef d’orchestre : s’il n’a pas forcément besoin de savoir jouer de tous les instruments, il doit tous les connaître et connaître chaque musicien. Ses connaissances doivent être multiples : sociales, juridiques, financières, fiscales, administratives. Il doit savoir faire preuve d’écoute, de respect, être diplomate, médiateur, en évitant de se mettre à la place de … Il doit rester neutre, ne pas juger, accepter la différence.

Chaque nouvelle mesure de protection est une nouvelle histoire dont les acteurs sont à chaque fois différents et dont l’issue n’est jamais écrite à l’avance. Certaines auront des fins heureuses, d’autres seront des échecs, d’autres encore permettront « juste » à certains majeurs de finir dignement leur vie ou à des familles de retrouver un peu de sérénité.

Mais le MJPM sera aussi souvent « l’empêcheur », celui qui préserve le majeur protégé de l’avidité de certains ou de ceux qui pensent qu’ils savent mieux ce qui est bon pour l’autre. Il devra toutefois faire attention à ne pas devenir ce dernier, en restant à sa place de mandataire, en sachant prendre du recul.

2.1 – Relations du mandataire avec la famille de la personne protégée

L’expérience de Patrice Briys

Il ne faut jamais perdre de vue que la protection juridique qu’elle soit curatelle ou tutelle, ne concerne que le majeur pour qui le juge des tutelles vous a désigné. La famille est une source d’informations, mais elle y met forcément beaucoup d’affectif. Il est toujours important de comprendre pourquoi ce n’est pas un membre de la famille qui a été désigné pour assurer la mesure de protection.

Famille/MJPM : chacun sa place

Sauf à préserver l’intérêt de votre protégé (spoliation, mise en danger, etc.), n’écartez pas la famille. Elle a un rôle à jouer et vous avez le vôtre. Un jugement vous confiant la protection de la personne ne vous désigne pas pour aller acheter les produits d’hygiène ou les sous-vêtements de votre majeur protégé, de faire ses courses ou son ménage. C’est d’abord le rôle de l’entourage. Le vôtre, si absence de la famille il y a, sera de trouver des solutions pour pallier ce manque (auxiliaire de vie, prestataires de services, etc.)

Quand la famille est présente, il faudra lui expliquer pourquoi vous ne pouvez pas (et non pas ne voulez pas) lui rendre des comptes ou dévoiler les aspects de l’intimité du protégé. Expliquez simplement votre prestation de serment : « (…) Je jure également de ne rien révéler ou utiliser de ce qui sera porté à ma connaissance à l’occasion de l’exercice du mandat judiciaire. »

Pourquoi désigner une personne de confiance ?

A l’inverse, si le majeur protégé est d’accord, rien n’interdit que la famille soit présente lors de vos visites. Cela évitera de donner l’impression que vous avez des choses à leur cacher. Et si cela est possible, demandez à votre protégé qui pourrait, selon lui, être désignée personne de confiance. Si cela ne va pas à l’encontre de votre protégé et ne risque pas de créer ou d’alimenter des tensions familiales, cela peut être une façon d’impliquer un membre de la famille dans votre mission.

2.2 – Échange d’informations entre le mandataire et les partenaires

A partir de l’ordonnance / jugement rendu par le juge des tutelles, vous devrez faire toutes les démarches utiles auprès des organismes pour vous assurer de l’ouverture/de la non-rupture des droits de la personne protégée.

Vous aurez au préalable identifié les principaux acteurs du réseau professionnel pouvant contribuer au partenariat pour l’exercice de la mesure de protection (travailleurs sociaux de la ville, du département, de l’employeur (en ESAT : établissement et service d’aide par le travail par exemple), de la CAF, des caisses de retraite, en fonction des solutions à mettre en place.

Il vous revient :

  • de coordonner l’exercice de la mesure avec les différents projets lorsque les personnes sont accompagnées par d’autres services ou établissements ;
  • de faire connaître les missions du mandataire et le fonctionnement du service ;
  • de faire respecter les droits des personnes protégées et de veiller à ce qu’elles puissent continuer à les exercer.

En termes de bonnes pratiques, vous veillerez :

  • à partager l’information sans porter atteinte à la personne ;
  • à définir le périmètre d’intervention de chacun ;
  • à être disponible et joignable au maximum par les partenaires ;
  • à mettre en place des temps de travail partagé et des réunions de synthèse en cas de besoin.

Chef d’orchestre, pivot de la mesure le MJPM veille :

  • à ce que les partenaires disposent des informations utiles concernant le projet de la
    personne, son rythme de vie et ses besoins spécifiques dans le respect de sa vie privée ;
  • à prendre en compte les contraintes, les obligations légales et les pratiques des partenaires ;
  • à veiller au respect de la sécurité et de l’intégrité de la personne par les partenaires ;
  • à veiller à ce que le cadre de la mission soit connu et respecté selon qu’il s’agit d’une mesure d’assistance ou de représentation.

2.3 – Échange d’informations entre le mandataire et le juge des tutelles

Vous aurez à transmettre les comptes rendus annuels de gestion et les comptes rendus de diligence, à solliciter l’accord du juge pour les démarches prévues par le cadre légal et à répondre à ses sollicitations (art. 416, 510 à 514 du Code civil).

Vous veillerez à ce que le juge soit tenu informé des évolutions notables de la situation du majeur tout au long de la mesure. Vous lui transmettez chaque année, un rapport de situation, ainsi qu’à l’occasion du renouvellement de la mesure.

En termes de bonnes pratiques, vous :

  • anticiperez les délais pour le renouvellement de la mesure de protection ;
  • faciliterez les déplacements de la personne protégée pour les audiences au tribunal ;
  • tiendrez compte et intégrerez les différentes pratiques des tribunaux et des juges.